Le 24 mai 1976 11 dégustateurs professionnels du monde du vin sont réunis à l’hôtel Intercontinental de Paris pour évaluer et noter à l’aveugle* 20 vins français et américains. Il ne le savent pas encore mais les notes que les juges vont attribuer aux vins changeront l’image des vins français et américains pour les années à venir.
Le jour où « les vins californiens surclassèrent les grand crus français« .
George Taber
Le résultat de cet évènement sera désormais connu sous le nom du « Jugement de Paris » le jour où « les vins californiens surclassèrent les grand crus français« . En effet, alors que les organisateurs ne s’y attendaient pas, aussi bien en vins rouges qu’en vins blancs, un vin californien sera mieux classé que les vins français.
L’évènement a été relaté entièrement dans le livre du journaliste américain Georges Taber « Le Jugement de Paris – Le jour où les vins californiens surclassèrent les grands crus français ». Il n’y eu ni tromperie ni manipulation car comme l’écrira un des 11 juges Odette Khan — pourtant très critique sur l’interprétations des résultats par la presse américaine — dans la Revue des Vins de France n°257 : « Personne ne doute du résultat. ».
« Personne ne doute du résultat. ».
Odette Kahn, juge au Jugement de Paris et rédactrice en chef de la Revue des Vins de France, n°257.
*à l’aveugle : désigne une dégustation de vin dont l’identité des bouteilles est cachée à ceux qui dégustent.
La liste des 11 professionnels du Jugement de Paris
Expert, oenologue, grand chef étoilés… les 11 juges qui était réunis représentaient la fine fleur des professionnels aguerris aux grands vins. Regardez un peu ce parterre de stars :
- Aubert de Villaine, propriétaire et vigneron du domaine de la Romanée-Conti ;
- Pierre Tari, propriétaire de Château Giscours et secrétaire général de l’Association des Grands Crus Classés ;
- Christian Vannequé, chef sommelier de « La Tour d’Argent » ;
- Pierre Bréjoux, l’inspecteur général des AOC ;
- Odette Kahn, la rédactrice en chef de la Revue des Vins de France ;
- Claude Dubois-Millot de Gault-Millau.
- Jean-Claude Vrinat, propriétaire du restaurant « Taillevent »;
- Raymond Oliver, chef star de lé télé de l’époque, propriétaire et chef du « Grand Véfour » (regardez sa recette de crêpes ultra alcolisées ! UN RÉGAL 🙂 );
- Michel Dovaz de l’Institut du vin.
- Steven Spurrier et Patricia Gallagher de l’Académie du vin qui organisèrent la dégustation du Jugement de Paris.
Les notes de Steven Spurrier et Patricia Gallagher n’ont pas compté dans la moyenne finale qui couronna 2 vins californiens : un vin rouge et un vin blanc.
Résultats du Jugement de Paris
Le classement fût établit par Spurrier sur la base de la moyennes des 9 notes (Spurrier et Gallaher organisateurs ne comptant pas dans le classement final). La moyenne est un outils statistique qui est efficace à partir d’une trentaine de notes. Pour un faible nombre d’évaluation comme ici avec 9 notes, la moyenne a un énorme problème, les juges qui sur-notent ou sous-notent les vins auront plus de poids dans la notation finale.
Ceci dit l’article ANALYZING A WINE TASTING STATISTICALLY (Orley Ashenfelter and Richard E. Quandt), a rejoué le résultat en classant les notes des vins avec la méthode des rangs et a obtenu le même vainqueur.
Classement des vins rouges – note moyenne
- États-Unis – Chateau Montelena 1973 – 14,4
- France – Roulot (AOC Meursault Charmes Grand cru) 1973 – 14,05
- États-Unis – Chalone Vineyard 1974 – 13,44
- États-Unis – Spring Mountain Vineyards 1973 – 11,55
- France – Joseph Drouhin Le Clos des Mouches (AOC Beaune 1er Cru) 1973 – 11,22
- États-Unis – Freemark Abbey Winery (en) 1972 – 11,11
- France – Ramonet-Prudhon (bâtard-montrachet) 1973 – 10,44
- France – Domaine Leflaive Les Pucelles (AOC Puligny-Montrachet 1er Cru) 1972 – 9,88
- États-Unis – Veedercrest Vineyards 1972 – 9,77
- États-Unis – David Bruce Winery 1973 – 4,66
Classement des vins blanc – note moyenne
- États-Unis – Stag’s Leap Wine Cellars 1973 – 14,14
- France – Château Mouton-Rothschild (AOC Pauillac 2nd Grand Cru Classé — il passera en 1er Grand Cru Classé en 1973) 1970 – 14,09
- France – Château Montrose (AOC Saint-Estèphe) 1970 – 13,64
- France – Château Haut-Brion (AOC Pessac-Léognan 1er Grand Cru Classé) 1970 – 13,23
- États-Unis – Ridge Vineyards (en) Monte Bello 1971 – 12,14
- France – Château Léoville Las Cases (AOC Saint-Julien) 1971 – 11,18
- États-Unis – Heitz Wine Cellars ‘Martha’s Vineyard’ 1970 – 10,36
- États-Unis – Clos Du Val Winery 1972 – 10,14
- États-Unis – Mayacamas Vineyards 1971 – 9,77
- États-Unis – Freemark Abbey Winery 1967 – 9,64
L’appréciation d’un vin est très variable
« Les résultats d’une dégustation à l’aveugle ne sont pas prévisibles et ne seront même pas reproduits le lendemain par le même jury dégustant les mêmes vins. » Steven Spurier organisateur du Jugement de Paris. ANALYZING A WINE TASTING STATISTICALLY Orley Ashenfelter and Richard E. Quandt
Les résultats du Jugement de Paris nous enseigne que l’exercice de dégustation à l’aveugle est compliqué et les notes assez disparates.
- Même pour des dégustateurs aguerris.
- Même pour des vins de grande qualité grands crus.
Voici les notes des 11 jurés sur les vins rouges classés premier et second.
Juge | 1er : Stag’s Leap Wine Cellars 1973 | 2nd : Château Mouton-Rothschild 1970 |
P. Brejoux | 14 | 16 |
A. de Villaine | 15 | 14 |
Michel Dovaz | 10 | 15 |
Pat. Gallagher | 14 | 15 |
Odette Kahn | 15 | 12 |
Ch. Millau | 16 | 16 |
Ray. Oliver | 14 | 12 |
Steven Spurrier | 14 | 14 |
Pierre Tari | 13 | 11 |
Ch. Vanneque | 16,5 | 16 |
J.-C. Vrinat | 14 | 14 |
MOYENNE | 14,14/20 | 14,09:20 |
Ainsi, les notes des vins s’étalent de:
- Pour le vin classé 1er Stag’s Leap Wine Cellars 1973 : de 10/20 à 16,5/20
- Pour le vin second Château Mouton-Rothschild 1970 : de 11/20 à 16/20
Je me demande dans quelle mesure les juges partageaient une culture commune de notation des vins. Si les juges avaient eu une culture commune de notations alors leur notes auraient pu avoir un sens.
La leçon à tirer du jugement de Paris : apprenez la notation du vin pour mieux déguster
C’est une leçon personnelle que je retire de cet évènement qui marqua l’histoire du vin. Vous dégusterez d’autant mieux que vous apprenez à noter le vin.
NOTER OUI. MAIS AVEC UNE GRILLE DE NOTATION EXPLICATIVE.
Que ce soit des critères que vous tirez de votre expérience (plaisir, complexité etc.) ou des critères appris de dégustateurs d’expérience : une grille de notation stable vous aidera à noter les vins de manière comparable. Cela vous aidera à vous souvenir des vins et à progresser dans votre mémoire sensorielle.
Apprendre la grille de notation sur 20 points avec la méthode Verdier
Pour ma part, je prêche pour la méthode de notation sur 20 enseigné par Eric Verdier dans son Palmarès des plus grands terroirs à vin rouge du monde (2017) Cette méthode de dégustation enseignée par l’un des plus grands dégustateurs du monde (article sur Eric Verdier). Que je résumerai en le citant :
+ 10/20 = « bon vin de table simple, franc et loyal sur le plan juridique ou moral se doit d’avoir la moyennne »
+ 0 à 5 points attribués à L’INTENSITE GUSTATIVE (IG)
+ 0 à 5 points attribués à la FINESSE DE GOÛT (FG)
- L’INTENSITE GUSTATIVE (IG)
C’est la mesure de persistance sur les papilles gustatives de tous les stimuli que le vin imprime sur la langue lors de l’humectation […] a) Stimuli moléculaires et stimuli ioniques b) Sensation somesthésique : le toucher de la langue, la viscosité etc… c) Sensation tactile : astringence due aux tanins ou à certains composés chimiques qui créent une réaction sur les bourgeons gustatifs.Le Barème de l’Intensité gustative
2/5 Grand vin de belle persistance issu d’un bon terroir au caractère singulier.
3/5 Intensité remarquable qui signe un grand terroir. Superbe matériel végétal.
4/5 Sapidité exceptionnelle. Terroir d’exception qui permet l’obtention d’une matière végétale complexe qui va, en bouteille, continuer sa complexification.
5/5 La perfection gustative dans une race de terre exceptionnelle qui produit des composés organiques complexes offrant des raisins de parfaite constitution physico-chimique - LA FINESSE DE GOUT (FG)
La finesse de goût est caractérisée par la présence de 3 sensations distinctes qui doivent atteindre la plus parfaite harmonie. C’est la combinaison de la force, de la persistance et de l’appétence qu’offre le vin en cours de dégustation.
a) Des composés tactiles du vin (sensation somesthésique et pseudo thermique conférée par desmolécules chimiques contenues dans le vin en cours de dégustation), rondeur, velouté, suavité… b) Des composés aromatiques (leur finesse, leur persistance et leur complexité) à la retro olfaction. c) De l’amertume, de la subtilité de la finesse des tanins ou de leur grossièreté que vont conférer les polyphénols contenus dans le vin.
Le Barème de la Finesse de Gout :2/5 L’expression fine d’un cépage ou d’un assemblage. Bel équilibre général de la cuvée.
3/5 Subtilité et équilibre général de la cuvée excellents. Tanins savoureux sans dureté.
4/5 Tannins superbes, présents et persistants, sapidité intense sans dureté ni amertume. Parfaite osmose avec palais, salive et composés du vin ne faisant qu’un.
5/5 Vin parfait, tannins d’un équilibre remarquable. Puissance, intensité, persistance… Appétence qui stimule les glandes salivaires. « Poudré » délicat qui s’estompe lentement sur les papilles gustatives.
Exemples de vins notées par la méthode de notation Verdier
Exemple N°1 :
Un château X AOC Côtes de Castillon. Ce vin va obtenir un 11/20
Ce total se décompose dans ce cas précis en :
10/10 le minimum pour un vin loyal, sain et Marchand
0/5 pour l’intensité gustative
1/5 pour la finesse de goût
Cette note de 11/20 signe un vin honorable mais qui ne jouit pas d’un terroir qui lui permette d’obtenir une bonne intensité gustative, ni une bonne finesse de goût.
Exemple N°2 :
Maintenant prenons l’exemple d’un estimable cru bourgeois du Médoc : Château X note 13/20. Ce total se décompose dans ce cas précis en :
10/10 le minimum pour un vin loyal, sain et Marchand
2/5 pour l’intensité gustative
1/5 pour la finesse de goût
Soit 13/20 qui signe un vin de qualité supérieure offrant au dégustateur le spectacle d’un terroir de
belle facture.
Exemple N°3 :
Maintenant prenons un troisième exemple, celui d’un vin qui obtient un résultat qui lui permet d’entrer dans le petit Panthéon des grands terroirs.
Château Montrose obtient 16/20 . Ce total se décompose dans ce cas précis en :
10/10 le minimum pour un vin loyal, sain et Marchand
3 pour l’intensité gustative
3 pour la finesse de goût
Soit un total de 16/20 qui signe la marque sapide et subtile sur les papilles gustatives d’un très grand terroir.
J’espère que ce morceau d’histoire des vins vous aidera à apprendre cette notation. C’est comme ça que j’ai progressé. N’hésitez pas à me mettre en commentaire les obstacles qui vous gênent dans l’apprentissage du vin. Je me ferais un plaisir de vous répondre 🙂